vendredi 27 mars 2020

Lettre ouverte des paysannes et paysans de Loire-Atlantique suite à la fermeture des marchés

Nous sommes des paysannes et paysans de Loire-Atlantique et nous apprenons avec étonnement et désarroi la décision prise par le gouvernement d'étendre les mesures de confinement aux marchés ouverts dans tout le pays.

De l'étonnement d'abord. Face à la pandémie à laquelle nous faisons face comme tout le monde, beaucoup attendent que nous soyons présents pour accompagner dans l'épreuve un peuple confiné et nous entendons ce besoin. Pourtant, le gouvernement décide de la fermeture des marchés, là où chaque semaine de nombreuses personnes viennent se ravitailler en produits frais et là où des producteurs viennent vendre une large part de leurs productions car ils ont fait le choix d'une vente de proximité et des circuits-courts.

Du désarroi ensuite parce le gouvernement opère ainsi clairement et sciemment un arbitrage politique entre ce qu'il faut absolument maintenir à flot - les supermarchés, la grande distribution - et ce qu'on est prêt à contrario à mettre à l'arrêt dans la période de confinement. Ceci augure d'un aveuglement préoccupant sur les leçons à tirer de cette crise et sur les directions à suivre.

Est-il vraiment prouvé et évident que les risques de contagion sont plus élevés dans un marché en plein air que dans un supermarché fermé? Les risques de contagion sont-ils vraiment plus faibles pour des produits dont la chaîne de production nécessite une multitude d'intermédiaires ou pour des produits frais vendus en direct? L'agro-industrie est connue pour ses nombreuses crises sanitaires et c'est cependant ce système qui est promu par le gouvernement.

On nous dit depuis dix jours que nous sommes en guerre, comme une manière de nous faire accepter les nombreuses contradictions et manquements du gouvernement face à cette situation. Comme une manière de rendre impossible toute mise en cause des choix formulés, des orientations prises. Le gouvernement appelle publiquement à ce qu'une "armée de l'ombre" soit levée, puisque les fermes industrielles sont désormais dépourvues de leur main d’œuvre détachée pour les récoltes du printemps. Après avoir isolé, fragmenté le monde paysan, après l'avoir soumis à se plier aux lois de l'agro-industrie et à l'artificialisation continue des terres nourricières, on cherche à dresser les agriculteurs au haut rang de héros discrets de la guerre contre le virus. Et dans le même temps on ferme les marchés de plein air, parce qu'il faut bien durcir le ton et que l'on se soucie finalement peu de sacrifier les formes d'agriculture qui priorisent encore le soin des populations et des terres.

Nous n'avons pas besoin qu'un gouvernement qui a choisi délibérément de mettre en crise son système de santé comme sa production agricole nous fasse sans arrêt des leçons sur nos manières d'appréhender ce désastre sanitaire. Nous sommes suffisamment attachés à notre histoire et à nos terres pour prendre la mesure de la gravité de la situation et agir en conséquence. Nous ne cessons d'ailleurs de répéter que ce système, s'il ne se donne pas les moyens de changer profondément, court à sa perte.

Alors oui, prenons au sérieux l'épidémie du coronavirus, appliquons les gestes et les distances à observer pour l'endiguer, mais ne nous laissons pas malmener par des mesures néfastes, qui entérinent l'emprise de l'agro-industrie. En ces temps de dur retour aux contingences biologiques et où la bulle de déni dans laquelle s'est retranchée le monde moderne éclate, les incohérences du système sont mises à nu. Une agriculture paysanne et respectueuse du vivant nous semble être la seule à même de ne pas susciter d'autres crises plus brutales encore, du fait de l'intoxication des sols, de la dépendance aux énergies fossiles et du réchauffement climatique. Il est possible de la soutenir ici et maintenant. Nous appelons à nous organiser partout dans le département pour répondre à la situation.

La proposition est simple et modeste dans un premier temps. Nous voulons contribuer à élaborer une cartes des points de distribution qui viendront se substituer aux marchés interdits. Nous invitons tous les producteurs du département à échanger afin de proposer d'autres lieux, et à monter au créneau pour obtenir le maintien ou la réouverture des marchés dans les plus brefs délais . Il est tout à fait possible de penser l’aménagement d'un certain nombre d'entre eux dans des espaces suffisamment grands pour tenir compte des précautions nécessaires. Nous nous soucions aussi du fait que des invendus puissent être acheminés vers des points de redistribution et pour la production de repas solidaires pour les populations les plus précarisées par le confinement. C’est le cas de l’Autre Hangar à Nantes.

Afin d'aider à se fédérer et de collecter les informations nécessaires, nous mettons à disposition un numéro d'appel - 0652640032 - et une adresse mail : paysantraide@riseup.net

Nous invitons à des initiatives de ce type dans d’autres départements.

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