jeudi 26 mai 2011

Trois installations valent mieux qu’une

Le 3 mai dernier, le Conseil d’administration de la SAFER de Bretagne, a d’une courte voix (9 contre 8), rendu un avis en faveur de l'attribution de la ferme de Ty Losquet sur la commune de Grâces (22) à Laëtitia Nogré. Cette décision conduit à la création d’un seul emploi, là où il était possible d’en créer trois. En effet, les parents de Laëtitia Nogré, qui ne sont plus très loin de l'âge de la retraite, sont installés à quelques kilomètres de là et exploitent déjà 94 ha avec 331 435 litres de quota laitier et un poulailler de 1200 m2 de dindes de chair. La Communauté de communes de Guingamp vient par ailleurs de leur attribuer 14 ha de terres en location, ce qui porte la surface de l’exploitation à près de 110 ha sous réserve de l'installation de Laëtitia Nogré en GAEC avec ses parents.

La structure foncière des Nogré est suffisante, avec plus de 100 ha, pour permettre une production de lait supplémentaire sans y adjoindre plus de foncier. Le Projet Agriculture Durable Départemental (PADD) des Côtes d’Armor prévoit la possibilité d’attribution de 160 000 litres de quota laitier si le jeune installé apporte moins de 5 ha de terres à la nouvelle structure. Au-delà de cette surface, cette attribution tombe à 80 000 litres. La délibération de décembre 2010 de la Communauté de communes de Guingamp attribuant 14 ha de terres à Laëtitia Nogré ayant été portée à connaissance des membres de la CDOA lait le 10 mai dernier, celle-ci vient de décider d’attribuer par dérogation 160 000 litres de lait à Laëtitia Nogré si elle renonce aux terres de Ty Losquet et 80 000 litres si elle n’y renonce pas.

Les organisations paysannes qui nous soutiennent, unanimes, considèrent que cette exploitation agricole est suffisamment développée pour qu’elle soit en mesure d’attendre désormais une éventuelle autre opportunité pour résoudre ses problèmes de réaménagement foncier, que personne ne songe à nier, tout en permettant l’installation progressive de cette jeune femme. L’objet de l’attribution est l’installation et non pas le regroupement des terres. Nous notons que le candidat à l’achat des terres est le père, la fille étant candidate à l’achat des bâtiments, ce qui nous laisse perplexe.

Face au projet d'installation-agrandissement des Nogré, nous sommes deux jeunes femmes avec conjoints et enfants, donc deux familles qui s'installeraient volontiers sur la commune de Grâces. Notre projet d'élevage de brebis laitières en agriculture biologique, avec transformation à la ferme et vente directe, nous l'avons longuement mûri et travaillé avec nos formateurs et nos différents maîtres de stage. Ce projet est parfaitement viable économiquement. Nous avons par ailleurs un avis favorable de financement. Pour nous, qui avons visité de nombreuses fermes depuis près de 2 ans, Ty Losquet avec les 12 ha de terres groupées est idéal, à proximité de Guingamp avec des bâtiments facilement aménageables pour abriter le troupeau, mais aussi pour y aménager nos habitations. Nous ne sommes pas filles d’agriculteurs, aussi, pour nous, mettre la main sur les premiers hectares est une véritable épreuve. Les candidatures hors cadre familial, en production bio et vente en circuit court, sont en plein dans les débats qui animent la profession agricole et la société.

Quel message recevraient les candidats hors cadre familial, appelés à la rescousse pour renforcer les installations, si une fois encore la plupart d’entre eux se voient refuser l’accès au foncier ?

Quel message la société recevra-t-elle si une installation-agrandissement en production intensive se voit préférée à une installation en agriculture biologique au moment de la mise en musique des objectifs du Grenelle de l’environnement et en plein débat sur les algues vertes ?

Il est urgent pour l’avenir et l’image de la profession agricole que les jeunes candidats à l’installation soient véritablement accueillis et non pas comme trop souvent considérés et traités comme des gêneurs venant contrarier les plans d’agrandissement de certains agriculteurs en place. Les stratégies de restructuration individuelles d’exploitations déjà développées ne doivent pas primer sur l’installation en agriculture.

L’urgence est à la création d’emplois dans le secteur de la production. De quel crédit la profession, qui se plaint de manquer de main d’œuvre, pourra-t-elle se prévaloir demain si elle refuse d’intégrer ceux qui veulent y travailler ?