vendredi 20 mai 2011

Quand la SAFER barre la route aux porteurs de petits projets alternatifs

Lettre ouverte de Coline Sorel et Gael Le Jeune, jeunes agricultrices
Quand nous avons commencé à rechercher une petite ferme dans le Trégor, il y a plus de un an et demi maintenant, nous étions confiantes. Après tout nous ne demandions qu'une douzaine d'hectares et quelques ruines à retaper pour installer nos deux familles. Nous étions alors encore en formation (BPREA mention élevage laitier biologique et transformation fromagère), une formation de 9 mois financée par la Région Bretagne. Notre projet d'élevage de brebis laitières avec transformation fromagère semblait répondre à toutes les préoccupations du moment : création de deux emplois, mode de production biologique, transformation à la ferme et vente directe, choix de races locales rustiques pour la saveur et la qualité des produits. Pour avoir l'une et l'autre vendu des fromages sur les marchés, nous savions qu'avec de bons produits, nous ne serions pas longues à trouver une clientèle.
Après la formation, nous avons entamé notre « Plan de Professionnalisation Personnalisé » (PPP) et nous avons continué de faire des stages pour gagner en expérience (fromagerie artisanale, stage chez des éleveurs notamment au Pays basque). Comme l'ODASEA* et la SAFER n'avaient pas grand chose à nous proposer, nous avons entrepris de rencontrer un à un les maires des communes de la zone où nous voulions nous installer (dans un triangle entre Guingamp, Morlaix et Lannion). Certains de ces maires nous ont mis en relation avec des cédants. Nous avons eu quelques pistes mais nous arrivions souvent trop tôt ou trop tard. C'est le problème des installations hors-cadre familial, on est en dehors des réseaux où circulent l'information sur les fermes à reprendre.
Cependant, en février dernier, en épluchant les petites annonces du Paysan breton, on tombe sur un appel à candidature de la SAFER pour une ferme sur Grâces. On se rend sur place et on a tout de suite le sourire aux lèvres : enfin, on l'a trouvée la perle rare ! Après de nombreux coups de fil à droite et à gauche (pour essayer de savoir ce qu'on doit mettre dans le dossier de candidature) et quelques nuits blanches à rédiger, on envoie notre dossier, le 23 février dernier exactement.

Après, vous connaissez l'histoire, notre candidature est écartée au profit de l'agrandissement d'une ferme laitière de la commune qui atteint déjà une centaine d'hectares. Nous avions pourtant fait ce qui nous semblait être le plus dur : décrocher un avis favorable auprès d'une banque. On nous faisait confiance, notre projet était viable.
Alors pourquoi la SAFER a-t-elle préféré aider un agriculteur aux moyens de production déjà très importants à installer sa fille, plutôt que nous aider, nous, avec notre petit projet, peu gourmand en foncier et qui fera vivre deux familles ? Pourquoi la SAFER n'a pas ainsi saisi l'occasion de favoriser trois installations au lieu d'une ? Pourquoi préférer l'agriculture conventionnelle au bio dans le contexte actuel (faites donc un petit tour sur la côte) ? Quand est-ce que le fonctionnement de la SAFER sera exposé clairement, noir sur blanc, avec ses règles et ses priorités dans l'attribution des terres agricoles ? Pourquoi le traitement qu'on nous a réservé est tellement en contradiction avec les discours ambiants sur l'aide à l'installation des jeunes en agriculture et notamment des jeunes hors-cadre familial, le soutien aux projets « diversifiés » comme ils disent ? Que d'occasions manquées pour tous les jeunes qui se trouvent dans notre situation : formés, expérimentés, motivés, prêts à s'installer mais sans terre. Combien d'entre nous renonceront à ce qui était pourtant un choix de vie et un investissement personnel de plusieurs années ?
Pour finir, ce qui nous conforte dans notre lutte aujourd'hui, ce sont toutes les démonstrations de soutien que l'on reçoit notamment de la part de personnes anonymes qui rêvent sans doute d'un autre « modèle agricole breton ». Ça nous fait chaud au cœur aussi de recevoir des encouragements de la part de petits paysans du coin, presque aussi démunis que nous face aux puissants, sans parler de tous les jeunes qui sont dans la même situation que nous... Ensemble, le combat va continuer !
* Organisme Départemental pour l'Aménagement des Structures des Exploitations Agricoles